“Il est interdit d’uriner sur place”
Quel que soit le contexte, une telle mention peut sembler fort incongrue, mais elle l’est encore plus quand on sait que ce rappel était nécessaire dans une usine de fabrication de réfrigérateurs en Chine en 1984… Malheureusement, à cette époque, ce panneau était pourtant indispensable dans une usine de Qingdao, ville portuaire de la province du Shandong, entre Pékin et Shanghai.
Trente-sept ans plus tard, Zhang Ruimin, le repreneur de cette usine calamiteuse, s’est retiré à 72 ans de la direction exécutive du groupe d’électroménager Haier, désormais plus puissant qu’Electrolux ou Whirlpool.
Peu de choses prédisposaient cet homme à devenir un chef d’entreprise. Encore moins à pouvoir se vanter d’un enchaînement de succès tel qu’il inspire aujourd’hui bien au-delà de son secteur d’activité. En analysant les trois décennies qu’il a passé à la tête de Haier, on peut y déceler une constante : le changement radical permanent. Il a constamment remis en cause les acquis et les succès passés alors même que son entreprise était devenue leader de son marché. Au-delà de cette success story largement méconnue en Europe, l’un des actes qui persiste dans la mémoire collective de l’entreprise reste une célèbre séance de destruction.
Un mythe fondateur
Dans une usine décrépie, il n’était pas étonnant de faire face à de multiples défauts de fabrication. Après une n-ième alerte remontée par les clients, Zhang Ruimin demanda un inventaire général, qui mit en évidence que 76 réfrigérateurs en stock comportaient des défauts de fabrication similaires. Pour marquer les esprits, Zhang ordonna alors, devant tous ses employés médusés, la destruction méthodique de tous ces réfrigérateurs. Le message était clair : Zhang attendait désormais un niveau de qualité incompatible avec la commercialisation de ces produits défectueux ; continuer comme avant conduirait à ruiner la stratégie qu’il souhaitait mettre en œuvre, à savoir l’édification d’une marque qualitative et forte.
De nos jours, nous vivons régulièrement des épisodes de rappels massifs d’équipements au niveau mondial, mais dans le contexte de la Chine de 1984, cet épisode fut véritablement une révolution. Il faut aussi se rappeler qu’à cette époque, tous les réfrigérateurs auraient été vendus, même si les défauts étaient connus des clients. Un marché local balbutiant, l’électroménager considéré encore comme un produit de luxe et le faible niveau de vie rendaient en effet ces équipements acceptables ; et dans le pire des cas, une réparation était toujours envisageable. Un réfrigérateur défectueux avait donc une valeur non négligeable pour les clients mais aussi pour les employés.
Un style de management
Avec cet acte radical, Zhang a de facto posé un message bien plus fort que toutes les communications verbales : en tant que responsable, j’assume la destruction de ces produits ayant une valeur marchande ainsi que tous les coûts de production associés, car nous devons impérativement changer.
Enfin, cet acte, dont la portée sur le moment était loin d’être évidente, a été réalisé aux yeux de tous, directement au sein de l’usine. Le chef n’a pas pris cette décision dans un bureau entouré de son cercle rapproché. Il a décidé une destruction méthodique sur le lieu de production lui-même. Cet épisode qui fit date aurait certainement été approuvé par les adeptes du Gemba popularisée par la méthode Lean : comprendre et agir là où les choses se déroulent réellement.
Formé en management au sein de l’IAE de Paris, Youssouf Chotia a passé dix ans dans le conseil en management et organisation, notamment chez Devoteam et Weave. Après ces expériences, il a poursuivi sa carrière en rejoignant Thalès dans le secteur du spatial.
Il reste convaincu que la recherche de profit est compatible avec l’épanouissement individuel et collectif à condition de s’intéresser aux innovations managériales.