Agilité, autonomie, intrapreneuriat, collectif : au-delà du buzz !

A l’occasion de la sortie de notre livre Et si on copiait les entreprises chinoises ? centré sur le modèle de management de Haier particulièrement adaté à un monde incertain, nous continuons nos entretiens avec des experts du domaine.

Après un premier échange avec Suzy Canivenc , nous vous partageons aujourd’hui la vision éclairante et lucide de Gaëlle Brunetaud coach professionnelle certifiée dont la mission est de déployer les pleins potentiels et la performance au sein des collectifs.

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Youssouf Chotia :  Bonjour Gaëlle Brunetaud, est ce que vous pouvez vous présenter ?

Gaëlle Brunetaud : J’accompagne des individus, des équipes et des organisations depuis plus de vingt ans dans leur évolution en France et à l’international : stratégie, acquisition, fusion, forte croissance, innovation, conflits, résilience, création ou changement d’activité, transition, transformation, coopération interdisciplinaire ou au sein d’un vaste écosystème, …

L’agilité, ce n’est pas faire n’importe quoi n’importe quand dès qu’un chef ou qu’un client le demande

Youssouf Chotia : Vous intervenez pour accompagner les transformations d’entreprise vers plus d’agilité.
Quelles sont vos convictions sur le sujet ?

Gaëlle Brunetaud : L’agilité, ce n’est pas faire n’importe quoi n’importe quand dès qu’un chef ou qu’un client le demande, mais c’est être capable de s’adapter et d’improviser en fonction des aspirations collectives, des besoins et de l’évolution du contexte et de la situation. Je crois qu’on peut d’autant plus facilement être agile et improviser qu’on dispose de points d’appui solides sur le plan de la structure, des pratiques et des relations.

L’agilité, c’est une qualité naturelle des êtres vivants, qui se développe au sein d’un collectif et qui lui permet de survivre durablement. Il n’y rien de foncièrement nouveau là-dedans. La seule nouveauté, peut-être, c’est que les structures organisationnelles relativement rigides, qui ont donné de bons résultats économiques dans un monde relativement stable pour produire et vendre à grande échelle, sont devenues inopérantes dans notre monde volatile incertain complexe et ambigu où nos activités humaines se sont révélées de plus en plus destructrices pour notre planète.

Or, plus la liberté est grande, plus les interactions sont nombreuses, plus les conflits risquent d’émerger

Autre chose : l’agilité multiplie les interactions et laisse aux acteurs de terrain une plus grande liberté d’action. Or, plus la liberté est grande, plus les interactions sont nombreuses, plus les conflits risquent d’émerger. Ceux qui n’y sont pas prêts oublient peut-être que ces conflits peuvent être très constructifs et sont l’occasion faire grandir tant les individus que l’organisation. Je crois aussi que pour que ces conflits qu’ils soient constructifs, il faut, et ce n’est pas exhaustif, de bonnes pratiques relationnelles, des règles du jeu claires, une vision claire de la situation et un but commun partagé.

Youssouf Chotia : Avec Jérôme Delacroix nous avons décidé d’étudier le changement d’organisation chez Haier. Le premier point qui nous a étonné c’est le degré d’autonomie des 4 000 Micro-Entreprise composées de 10 à 20 personnes. En effet, ils ont l’autonomie pour embaucher, pour rémunérer et pour adresser le marché. Ce qui nous fait dire de manière provocatrice qu’en comparaison nous pratiquons la micro-autonomie. Qu’est ce que vous pensez de la difficulté de la hiérarchie à accorder ces 3 droits fondamentaux ?

Mettre en place une réelle autonomie au sein d’une petite activité très visible qui obtient rapidement de beaux succès fonctionne généralement bien 

Gaëlle Brunetaud : Oui, c’est assez logique, dans l’histoire des humains les exemples foisonnent d’organisations, même militaires, qui ont du leur pérennité à la mise en place de petites équipes autonomes et capables de relever les défis auxquelles elles faisaient face. Le management peut avoir du mal à accorder cette autonomie pour des raisons très différentes selon les organisations et les individus. Quand je travaille avec des top managers qui sont prêts à accorder cette autonomie, je cherche à trouver le plus petit pas possible, le plus naturel pour les équipes et le management, qui va déclencher des transformations positives et vertueuses en cascade. Les réponses varient d’une structure à une autre. Mettre en place une réelle autonomie au sein d’une petite activité très visible qui obtient rapidement de beaux succès fonctionne généralement bien : pas idiots, les autres s’en inspirent.

Ça me semble stimulant pour nous tous, en occident, de trouver de l’inspiration en Chine qui est un pays qu’on critique beaucoup, et pas seulement aux Etats Unis que nous avons tendance à lorgner en premier

Youssouf Chotia : Le 2ème  point bluffant avec Haier c’est vraiment l’échelle de la transformation de cette
entreprise de plus de 50 000 personnes. Ils n’ont pas inventé de pratiques radicalement nouvelles. Mais ils ont réalisé une synthèse opérationnelle d’un ensemble de pratiques préexistantes (autonomie, concurrence interne, plateformisation, zero distance avec les clients). En occident on a souvent des exemples de startup ou de PME innovantes mais rarement des entreprises de cette taille.
Qu’est ce que vous en pensez?

Gaëlle Brunetaud : Avec un bon maillage, on peut effectivement développer une organisation de taille importante gérée par des équipes autonomes reliées entre elles. Ce fonctionnement (petites équipes autonomes reliées entre elles) se retrouve aussi dans l’organisation ancestrale des villages de nombreux pays, qui ont fonctionné ainsi pendant des millénaires, en Kabylie par exemple. Je vois des équipes fonctionner avec un fort degré d’autonomie
dans de grandes entreprises. Elles n’ont pas fait les mêmes choix et n’ont pas les mêmes caractéristiques qu’Haier, elles n’ont généralement pas été aussi loin. Haier a fait le choix de la concurrence interne, je pense que ce n’est pas le seul possible. Ça me semble stimulant pour nous tous, en occident, de trouver de l’inspiration en Chine qui est un pays qu’on critique beaucoup, et pas seulement aux Etats Unis que nous avons tendance à lorgner en premier.  

l’intrapreneuriat peut être générateur d’un fort engagement et d’un grande réussite. Mais tout le monde n’a pas envie d’être intrapreneur et on sait aussi combien le surengagement peut générer surcharge et risques psycho sociaux

Youssouf Chotia : Vous parlez souvent de la difficulté d’utiliser les forces vives de l’entreprise face aux
contraintes extérieures et à un environnement VUCA. Haier fonctionne aujourd’hui avec 4 000 leaders qui ont certes un périmètre restreint mais qui ont l’énergie, le dynamisme et la mentalité entrepreneuriale pour réaliser cet « extra-mile » qui fera la différence. Quelles sont les leviers qui permettent selon vous d’exprimer les forces vives de l’entreprise ?

Gaëlle Brunetaud : Déjà, il s’agit de révéler ces forces vives des collaborateurs et de l’organisation : dès qu’elles sont verbalisées et conscientisées, il est possible de les activer. Ensuite, les leviers varient d’une organisation à l’autre : parfois il faut montrer aux collaborateurs combien ils sont capables, parfois c’est le management qui doit montrer qu’il lâche la bride, donne droit à l’erreur et fait vraiment confiance, ou bien c’est le sentiment d’appartement, la sécurité psychologique, la culture d’entreprise qu’on va faire évoluer et l’initiative qu’on va libérer en trouvant les appuis les plus naturels, ou bien c’est la composition des équipes, la diversité cognitive, la façon de susciter l’énergie….
C’est vrai que l’intrapreneuriat peut être générateur d’un fort engagement et d’un grande réussite. Mais tout le monde n’a pas envie d’être intrapreneur et on sait aussi combien le surengagement peut générer surcharge et risques psycho sociaux. Je pense qu’il faut savoir trouver le bon équilibre… se dépasser, oui, mais écouter les limites de chacun et ne pas aller trop loin dans le « toujours plus ».

Le héros solitaire n’existe pas. Aucune réussite n’est individuelle. Jamais.

Youssouf Chotia : Nous continuons à fonctionner avec un paradigme du héros et de l’homme providentiel. Comment changer de mentalité (dans les écoles, les entreprises, la société) pour valoriser la réussite collective avant la réussite individuelle ?

Gaëlle Brunetaud : Déjà en réalisant que le héros solitaire n’existe pas. Aucune réussite n’est individuelle.
Jamais. On a décidé de retenir le nom de quelques héros, sans doute parce que ça semble plus simple, mais sans toute une équipe, une famille autour d’eux, ces gens qui ont donné leur nom à nos rues n’auraient rien pu faire. Le sociologue Pierre-Michel Menger, professeur au collège de France, a brillamment étudié ce phénomène. En conférence, quand je l’explique, je vois que les auditeurs ouvrent de grands yeux et réalisent combien ce mythe de la réussite solitaire est sans fondement. Les complexes et syndromes de l’imposteur tombent.

Si vous répétez que la réussite est collective mais que vous donnez à vos collaborateurs des objectifs individuels incompatibles avec une coopération et une réussite collective, vous n’arriverez à rien de bon.

Ensuite, il faut arrêter de surévaluer les gens sur des critères purement individuels. La culture évolue par les histoires qu’on raconte, qu’on valorise, et par les pratiques qu’on met en œuvre, qui doivent être cohérentes avec ces histoires inspirantes et attractives. Si vous répétez que la réussite est collective mais que vous donnez à vos collaborateurs des objectifs individuels incompatibles avec une coopération et une réussite collective, vous n’arriverez à rien de bon.


Merci Youssouf et Jérôme !

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