Qu’est-ce qu’une jeune pousse high tech du 21ᵉ siècle pourrait bien apprendre d’une entreprise d’électroménager née il y a 40 ans aux confins de la Chine ? Et pourtant : l’organisation en micro-entreprises du groupe Haier pourrait bien être une source d’inspiration pour les aspirantes licornes.
Les enjeux de la croissance : la structuration
Toutes les entreprises qui grandissent font face à un besoin irrésistible de se structurer. C’est notamment vrai pour les start-up. Après la phase d’hyper-croissance, surtout quand l’entreprise se rapproche ou a dépassé le seuil de l’E.T.I (Entreprise de Taille Intermédiaire), il devient nécessaire qu’elle stabilise son fonctionnement. Elle doit décrire précisément ses processus pour pouvoir les optimiser et les reproduire. Là où les mêmes personnes portaient diverses responsabilités, le management va devoir créer de nouveaux rôles. Il va se focaliser sur les métriques financières pour atteindre les jalons attendus. L’organisation, qui était quasi inexistante ou qui s’adaptait aux contraintes et aux opportunités à mesure qu’elles se présentaient, va devenir de plus en plus mécaniste. On passe d’une approche de croissance désordonnée à une approche prédictive.
Mais petit à petit, l’entreprise finit par dépenser beaucoup trop d’énergie à faire vivre cette machinerie interne. Elle est confrontée à des problèmes entre services ou entre fonctions, totalement déconnectés du client final et de son besoin. C’est alors que la réorganisation s’impose.
Supprimer les strates intermédiaires
L’entreprise d’électroménager Haier est née dans un terreau bien différent de celui des start-up occidentales, puisqu’elle a commencé à se développer au début de l’ère de modernisation de la Chine ouverte par Deng Xiaoping, dans les années 80. Pourtant, alors qu’elle était leader sur son marché local, avec un chiffre d’affaires dépassant les 30 Mds de dollars, elle a été confrontée aux mêmes problèmes.
Pour Zhang Ruimin, le PDG d’Haier, un manager ne devrait pas être jugé sur la quantité de personnes qu’il a sous ses ordres mais toujours en fonction de ses résultats et de la valeur qu’il crée. Selon lui, vous avez beau occuper un poste important, si vous ne produisez pas de résultats tangibles, c’est inutile et inefficace.
Fort de cette conviction, Zhang a conduit la transformation d’Haier tambour battant, sans hésiter à marquer les esprits par des symboles forts. Le premier pilier sur lequel il a bâti cette transformation est la métamorphose d’Haier en un ensemble d’entités autonomes : les micro-entreprises. Ces micro-entreprises devaient être en contact direct avec le marché, afin de répondre le mieux possible aux attentes des clients. À l’échelle d’Haier, cela a représenté pas moins de 4 000 entités, chacune faisant travailler de 10 à 20 personnes.
L’idée de créer des entreprises en interne peut sembler assez simple. Mais l’autonomie que Zhang a laissée à ses collaborateurs paraîtrait dans la plupart des sociétés proprement révolutionnaire. Par exemple, les leaders des micro-entreprises de Haier :
- décident par eux-mêmes de la meilleure manière d’aborder leur marché ;
- peuvent signer des contrats avec d’autres micro-entreprises du groupe ou avec des sociétés externes ;
- ont le droit d’allouer leurs ressources en fonction de leurs priorités ;
- choisissent les personnes qu’ils souhaitent embaucher ;
- fixent le niveau de variable des rémunérations.
Pour Zhang, il est indispensable, au-delà des leaders, que chaque employé prenne des initiatives en lien avec le client final pour que l’entreprise puisse grandir collectivement et ne plus dépendre de quelques personnes clés.
Anticiper la transformation
Ce genre de transformation radicale ne se fait pas simplement. Dans le cas d’Haier, passer d’une logique d’exécution à une logique entrepreneuriale a pris pas moins d’une dizaine d’années. Au passage, pas moins de 10 000 managers ont quitté l’entreprise car la nouvelle organisation ne correspondait pas à leurs attentes ou à leur manière de travailler.
Au final, le pari de Zhang Ruimin s’est avéré payant puisqu’Haier est aujourd’hui le numéro 1 mondial de l’électroménager et emploie près de 80 000 personnes. D’autres entreprises ayant pignon sur rue se sont réorganisées de la même façon qu’Haier avec succès, comme GE Appliances ou la branche nouveaux métiers de Fujitsu Europe. Mais parce qu’une réorganisation de cette ampleur est complexe, il reste plus simple de la réaliser tant que la taille de l’entreprise reste relativement modeste. C’est pourquoi les start-up ou les E.T.I. qui seraient tentées par une structure en micro-entreprises ont tout intérêt à anticiper le plus possible leur transformation.
Formé en management au sein de l’IAE de Paris, Youssouf Chotia a passé dix ans dans le conseil en management et organisation, notamment chez Devoteam et Weave. Après ces expériences, il a poursuivi sa carrière en rejoignant Thalès dans le secteur du spatial.
Il reste convaincu que la recherche de profit est compatible avec l’épanouissement individuel et collectif à condition de s’intéresser aux innovations managériales.