Pionnier de l’Internet en Chine, Jack Ma a créé sa première startup, China Pages, dès 1995, soit à peine un an après que la Chine eût été connectée à Internet, C’est peu dire qu’il était visionnaire. Mais ce professeur d’anglais de formation, autodidacte du Web, s’est aussi révélé par la suite un manager hors pair dans la manière dont il a tenu pendant quinze ans les rênes d’Alibaba, le géant de l’e-commerce qu’il a fondé.
Il y aurait beaucoup à écrire sur le style de management de Jack Ma. Nous nous arrêterons simplement dans ce billet sur trois caractéristiques : l’audace, la primauté de l’effort et une vision allant au-delà de la recherche du profit.
Il y aurait beaucoup à écrire sur les pratiques managériales de Jack Ma. Nous nous arrêterons simplement dans ce billet sur trois traits de sa philosophie du management : l’audace, la primauté de l’effort et une vision allant au-delà de la recherche du profit.
1. L’audace de Jack Ma
Plusieurs faits marquants du parcours de Jack Ma témoignent de son audace, mais d’une audace raisonnée qui sait céder la place à des retraites stratégiques quand cela est nécessaire.
De l’audace, il en fallait en Chine, en 1995, pour lancer une start-up alors que l’Internet n’était encore que balbutiant dans le pays. Cette première start-up de Jack Ma, c’est China Pages, un annuaire d’entreprises en ligne.
Et comme en Chine, rien ne se fait sans l’accord au moins tacite du gouvernement et du Parti Communiste, Jack Ma prit courageusement son bâton de pèlerin pour tenter de convaincre les responsables locaux de la ville de Hangzhou. Mais comme le montre le formidable documentaire Crocodile in the Yangtze, l’accueil fut plutôt frais, les mentalités n’étant pas encore prêtes.
Quelques années plus tard, alors que le marché avait commencé à être éduqué, l’opérateur Hangzhou Telecom lança une société concurrente, avec tous les moyens dont pouvait disposer une grande entreprise. Jack Ma prit alors la décision de battre en retraite, faisant le constat que le combat était trop inégal. Il mit un terme à China Pages pour prendre un poste dans une entreprise dans le giron du gouvernement.
Mais en 1999, Jack Ma constata que les lourdeurs politiques ne lui permettaient pas de lancer les projets qu’il souhaitait, et qu’il courait le risque de rater le coche de l’essor d’Internet. Il décida donc de lancer une nouvelle start-up avec 18 amis et collègues, Alibaba. Et l’ambition était au rendez-vous. Il s’agissait de rien de moins que de tailler des croupières aux géants de la Silicon Valley.
Le point d’orgue de cette ambition fut atteint à l’occasion du combat épique qu’Alibaba mena contre eBay de 2003 à 2007. Grâce à une meilleure compréhension des ressorts de l’e-commerce en Chine, Jack Ma fit les bons choix pour son site d’enchères Taobao, notamment celui de la gratuité pour les utilisateurs. Ainsi, lorsque la PDG d’eBay, Meg Whitman, invita Jack Ma aux États-Unis pour discuter d’un partenariat, Jack Ma eut l’audace de refuser. Cette fois-ci, il avait la conviction que David pourrait vaincre Goliath. Grâce à des mouvements stratégiques déterminés, comme l’entrée de Yahoo! dans son capital, il réussit effectivement à envoyer eBay au tapis, puisque qu’eBay se retira totalement de Chine en 2007.
On voit donc que Jack Ma a su dans sa carrière faire preuve d’audace sans être pour autant une tête brûlée, ce qui lui a permis d’atteindre les objectifs élevés qu’il s’était fixés.
2. La primauté de l’effort
Une autre dimension du management vu par Jack Ma est le rôle de l’effort. Créer un géant de l’e-commerce disposant en 2021 de 257 milliards de dollars d’actifs ne s’est pas révélé une simple promenade de santé. Dès le lancement d’Alibaba, Jack Ma promit du labeur, des larmes et de la sueur à ses salariés, comme on peut le voir dans cet extrait du Crocodile in the Yangtze :
Rien d’étonnant, dans ces conditions, que Jack Ma se soit plusieurs fois prononcé en faveur du rythme de travail dit 9-9-6 en vigueur dans de nombreuses entreprises high tech chinoises, soit de 9 heures du matin à 9 heures du soir, 6 jours sur 7.
Je pense personnellement que le 996 est une bénédiction. Comment pouvez-vous atteindre les succès que vous voulez sans en payer le prix en termes d’efforts supplémentaires et de temps ?
Jack Ma endorses China’s controversial 12 hours a day, 6 days a week work culture, CNN Business
3. Une vision allant au-delà de la recherche du profit
Comme de nombreux milliardaires, Jack Ma a eu la volonté de mettre sa richesse au service de causes dépassant le simple business. C’est ainsi qu’il a créé la Jack Ma Foundation, qui soutient notamment l’entrepreneuriat, l’éducation, la recherche médicale, l’environnement et le leadership féminin.
Comme d’autres entreprises, le groupe Alibaba a défini une déclaration de mission qui guide ses actions. Il s’agit en l’occurrence de rendre facile de faire des affaires partout. Et c’est bien ce que permettent les différentes offres d’Alibaba, qu’il s’agisse de sa plate-forme de commerce électronique, de ses offres d’informatique en nuage (cloud), de ses services financiers (Alipay), etc.
Mais dans le cas de Jack Ma, on peut penser que les motivations sont plus profondes. Vous me permettrez ici de rentrer dans le domaine des conjectures, que vous pouvez bien entendu mettre en doute.
Alors qu’il n’était qu’un jeune garçon, dans les années 80, Jack Ma a vu la Chine s’ouvrir au monde grâce aux réformes économiques de Deng Xiaoping. Il a voulu prendre sa part dans cette ouverture, notamment en apprenant l’anglais, en se liant d’amitié avec un camarade australien, David Morley, puis en devenant lui-même professeur d’anglais. Jack Ma ne voulait pas que la Chine reste en retrait. Il raconte d’ailleurs souvent cette anecdote de son voyage aux États-Unis en 1995, quand il a découvert Internet. Il a été très surpris, en faisant une recherche sur le mot « bière », de pouvoir trouver des informations sur des bières du monde entier, mais aucune sur les bières chinoises. C’est ce qui lui aurait donné envie de créer China Pages.
Plus tard, dans son combat contre eBay, il ne voulait pas qu’un géant américain conquière le marché naissant de l’e-commerce entre particuliers en Chine. On retrouve donc une forme de patriotisme dans le parcours de Jack Ma. Mais ce patriotisme n’est pas une volonté revancharde ou nationaliste de contribuer au succès de la Chine en tant que nation. C’est plutôt, semble-t-il, une volonté que les Chinois en tant que peuple puissent tirer parti de la mondialisation. Voici par exemple ce que déclarait Jack Ma à l’occasion de la cotation au Nasdaq d’Alibaba Group, le 19 septembre 2014 :
« Pour être franc, la plupart des gens pensaient que nous n’étions ici que pour lever des fonds. Mais en fait, nous voulons représenter l’économie chinoise, ses PME et l’avenir du pays. »
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On voit donc que le style de management de Jack Ma, loin de se résumer à l’application de simples techniques, s’enracine dans des principes fondateurs. C’est dans ce genre de principes que le management made in China puise sa source.
Pour plus d’informations sur le parcours entrepreneurial de Jack Ma, vous pouvez consulter cette vidéo :
Diplômé de HEC Paris et de CentraleSupélec, Jérôme Delacroix a démarré sa carrière chez le géant du conseil en management et en organisation Accenture, avant de se tourner vers le marketing, l’écriture et l’entrepreneuriat.
Jérôme Delacroix est allé plus de 12 fois en Chine et apprend le chinois mandarin. Il anime une chaîne YouTube consacrée à l’Internet en Chine.