Jack Ma returns

Jack Ma : un retour qui ne date pas d’hier

Ce lundi 17 février 2025 marque le retour officiel et en pleine lumière de Jack Ma sur la scène publique. En effet, avec d’autres entrepreneurs chinois de premier plan tels que Ren Zhengfei (Huawei), Wang Chuanfu (BYD), Pony Ma (Tencent) ou encore Liang Wenfeng (DeepSeek), Jack Ma faisait partie des invités de marque du premier « symposium sur les entreprises privées » organisé depuis 2018. Cette participation officielle marque la fin d’un long chemin de croix pour Jack Ma, commencé en 2020 après les propos polémiques qu’il avait prononcés sur la régulation du système financier chinois.

Dans cet article, nous allons revenir sur la descente aux enfers de Jack Ma et voir que son retour éclatant en février 2025 avait en fait été précédé par plusieurs étapes plus discrètes, témoignant d’un revirement du pouvoir chinois concernant le secteur des hautes technologies.

Octobre 2020 : le discours qui a failli être fatal à Jack Ma

L’éviction de Jack Ma de la scène publique trouve son origine dans un discours prononcé le 24 octobre 2020, lors du Bund Summit de Shanghai. Le milliardaire y avait vivement critiqué les régulateurs financiers chinois, les qualifiant de « club de vieux » et dénonçant leur approche jugée étouffante pour l’innovation. Ces propos ont déclenché une réaction en chaîne : deux jours plus tard, Pékin suspendait l’introduction en Bourse d’Ant Group, filiale financière d’Alibaba, prévue pour être la plus importante de l’histoire (37 milliards de dollars). Dans la foulée, une enquête antitrust était ouverte contre Alibaba, aboutissant en avril 2021 à une amende record de 2,33 milliards d’euros pour « abus de position dominante ».

Cette séquence marqua un tournant dans les relations entre le pouvoir chinois et les géants technologiques. Jack Ma, figure jusqu’alors intouchable du capitalisme chinois, devenait le symbole d’une régulation renforcée, dans un contexte où Pékin cherchait à réduire l’influence des plateformes numériques sur le système financier. Son retrait forcé de la vie publique s’accompagna d’une discrétion inhabituelle : entre 2020 et 2023, il ne fut aperçu qu’à de rares occasions, principalement à l’étranger (Japon, Espagne, Thaïlande)

Premières réapparitions contrôlées (2021-2023) : entre philanthropie et allégeance

La première étape vers une réhabilitation partielle intervint le 20 janvier 2021, lorsque Jack Ma réapparut dans une vidéo diffusée en direct, s’adressant à des enseignants ruraux dans le cadre d’un projet philanthropique. Ce choix thématique n’était pas anodin : en mettant en avant l’éducation, secteur prioritaire du régime, Ma tentait de réaffirmer son alignement avec les objectifs sociaux de Pékin. L’impact fut immédiat sur les marchés : le cours d’Alibaba bondit de 8,52 % à Hong Kong, soulignant la sensibilité des investisseurs à son statut.

Cette période fut marquée par une stratégie de profil bas, alternant absences prolongées et apparitions soigneusement calibrées. En mars 2023, Ma effectua une visite discrète dans une école près de Hangzhou, siège d’Alibaba, où il discuta d’intelligence artificielle et de ChatGPT. Bien que mineure, cette apparition signalait un début de normalisation, renforcé par des concessions réglementaires : en 2023, Pékin autorisa Ant Group à lever 5 milliards de dollars via une filiale, premier signe d’un assouplissement.

2024 : consolidation du retour et repositionnement stratégique

L’année 2024 marqua une accélération. En décembre, Jack Ma fit un retour plus médiatisé lors du 20e anniversaire d’Ant Group, où il insista sur le rôle de l’intelligence artificielle tout en tempérant les attentes : « L’IA va tout changer, mais cela ne signifie pas qu’elle pourra tout décider ». Ce discours, axé sur l’innovation contrôlée, reflétait une adhésion aux directives étatiques en matière de gouvernance technologique. Parallèlement, Alibaba entama une restructuration majeure, scindant ses activités en six unités indépendantes pour se conformer aux exigences antitrust.

Le retour physique de Ma en Chine fin 2024, après plus d’un an passé principalement au Japon, fut un tournant. Des sources indiquent que le Premier ministre Li Qiang aurait personnellement œuvré à ce rapprochement, y voyant un levier pour redonner confiance au secteur privé. Cette réapparition s’accompagna d’une communication mettant en avant ses projets éducatifs, alignés sur la rhétorique de « prospérité commune » promue par Xi Jinping.

2025 : la réhabilitation officielle

Le point d’orgue de ce processus intervint le 17 février 2025, lorsque Jack Ma participa à une réunion au Palais du Peuple aux côtés de Xi Jinping et d’autres dirigeants d’entreprises privées. Cette invitation, symbole d’une réintégration complète dans le giron officiel, coïncidait avec les efforts de Pékin pour relancer une économie fragilisée par la crise immobilière et un chômage des jeunes record. Dans son discours, Xi Jinping qualifia les difficultés du secteur privé de « temporaires et surmontables », un message interprété comme un apaisement après des années de répression réglementaire.

Un signal envoyé au secteur tech

Le retour progressif de Jack Ma s’est accompagné d’un assouplissement des contraintes pesant sur Ant Group. Bien que contrainte d’abandonner ses ambitions de néobanque, la société obtint des licences pour opérer dans des secteurs moins sensibles, comme les services de paiement B2B.

Plus largement, cette réhabilitation envoya un signal au secteur tech chinois. Des entreprises comme Tencent ou Meituan, également sous le feu des régulateurs, observèrent un assouplissement des pressions, matérialisé par des approbations accélérées de nouveaux produits Toutefois, la marge de manœuvre retrouvée reste encadrée, reflétant surtout un « retour à la normale », où innovation et soumission au politique coexistent.

Laisser un commentaire